Compte-rendu de la conférence tenue à la Commission Européenne le 17 novembre 2009 et organisée par l’association Bruxelles Europe Diversité linguistique :

Faut-il parler anglais pour être européen ?

Les conférenciers :

Quentin Dickinson : directeur des affaires européennes de Radio France.
Jean Quatremer
: correspondant de Libération pour les questions européennes.
Michel Theys
: journaliste des questions européennes Euromédia services.

(Prix européen de la presse 1991 et prix Richelieu 2005 défense de la langue française)

Une centaine de personnes (128) ont participé à cette conférence parmi lesquelles : L’ambassadeur de France auprès de l’Union Européenne (Monsieur Philippe Etienne) Le Consul de France à Bruxelles, des chefs d’entreprise, des syndicalistes dont un d’AXA, également des universitaires d’Espagne, d’Allemagne, de France et d’Italie; le président de l’Observatoire Européen du Plurilinguisme, des personnalités de diverses commissions de l’Union Européenne (salariés) dont 4 italiens, un anglais, 3 allemands et un polonais. Il y avait plus de10 nationalités présentes à cette conférence. Monsieur Joël Decaillon (CGT) du Comité Exécutif de la CES et de la CESE s’est fait excuser ainsi que le représentant de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

La compétence linguistique pour la majorité des participants était de 3 ou 4 langues.

Les conférenciers ont présenté :

  • Les règles du régime linguistique au sein de l’union dès son origine (règlement 1/58), à la période de l élargissement et la pratique actuelle.
  • La grande bascule vers le tout anglais date de la période de la Commission Prodi 1995/2004 En effet, le chargé de la réforme administrative, le vice-président anglais M. Neil Kinnock a œuvré pour la défense des intérêts linguistiques de la Grande Bretagne et du Bristish Council dont il sera le président jusqu’en juin 2009.
  • Le rôle et la place de la langue anglaise en rappelant les entretiens de Churchill en 1943[1]: « le nouvel empire sera linguistique, il faut donc asseoir la suprématie de la langue anglaise ». Par ailleurs Ils ont souligné la mise en garde par l’anglais Robert Phillipson avec son livre « Linguistic imperialism » publié en 1992, par lequel il avertissait que, pour les anglo-saxons, l’anglais doit devenir la langue dominante remplaçant les autres langues et leurs visions du monde ; les pays non anglophones finissent par absorber naturellement les valeurs anglo-saxonnes grâce à l’étude de la langue anglaise». Ainsi face à une politique d’expansion de la langue anglaise, il n’y a eu qu’un processus de renoncement et d’angélisme des autres pays dont la France.
  • L’attitude suicidaire des représentants français à l’Union Européenne comme le choix systématique de s’exprimer en anglais (ressenti comme un mépris des traducteurs) ou celui de travailler et de faire travailler uniquement en anglais ou en faisant de l’anglais la langue unique des commissions dont ils ont la charge.
  • Le renoncement à l’emploi du français par les élites francophones a entraîné par effet de domino l’effacement des autres langues notamment l’allemand et l’italien.
  • L’absence de politique de solidarité et de réciprocité linguistique de la part des états non anglophones.
  • Les effets pervers de la langue unique en termes de discrimination et de restriction d’expression de la démocratie.
  • La Chine se donne les moyens de promouvoir sa langue…

En conclusion des débats avec la salle, il ressort :

La langue anglaise est installée durablement en position hégémonique au sein des institutions européennes. Le français -langue de 3 pays fondateurs -a perdu son rang au sein de l’Union Européenne. La langue allemande[2] et italienne sont hors d’état de contre balancer cette hégémonie linguistique.

Dans les états membres, la langue anglaise est en train de prendre souche dans les jardins d’enfants et elle est déjà la langue de transmission des savoirs dans l’enseignement supérieur. La France n’échappe pas à ce processus d’anglicisation.

Le français et l’allemand ne sont plus considérés comme des langues internationales; elles seront reléguées de fait comme langues « régionales » de l‘Union Européennes sans en avoir le statut.

La qualité de citoyen européen est conditionnée à la maîtrise de la langue anglaise et par la même le niveau d’anglais dont vous êtes capable détermine votre évolution sociale et hiérarchique. Cela implique qu’en l’absence de cette maîtrise, vous ne pouvez pas vous affirmer comme un citoyen européen à part entière.

Plusieurs participants étrangers ont aussi rejeté la responsabilité de ce désastre linguistique sur les élites françaises car se battre pour maintenir l emploi du français était un combat indissociable de la protection des autres langues. Combat auquel les élites francophones ont renoncé Ils ont souligné que les conséquences étaient dramatiques pour les citoyens des pays non-anglophones. Un haut fonctionnaire allemand en poste à l’UE est sur le point de saisir le médiateur européen pour faire valoir son droit à l’information en langue allemande.

Les dernières actions syndicales pour la diversité linguistique[3] en France notamment celles d’AVIVA CFTC et de SOPRA CFTC et le communiqué de presse du 30 octobre de la CFE-CGC sur l’identité nationale et la langue au travail ont été cités ainsi que l’adoption du Cadre Européen Commun de Référence aux Langues par AXA Assistance. Les documents relatifs à ces actions ont été remis aux conférenciers et à l’Ambassadeur de France.

Conférence très instructive tant par la qualité des conférenciers que par les interventions de la salle.

Signalons :

Une autre conférence à la Commission Européenne en décembre a pour thème : « Le français dans les institutions européennes, un déclin inéluctable »?

Alors que la langue française a longtemps bénéficié d’une place privilégiée dans l’intégration communautaire, son recours dans les institutions européennes connaît depuis une quinzaine d’années un déclin régulier, en particulier au sein de la Commission, où la quasi-totalité des projets législatifs est désormais rédigée en anglais.

  • Quelles sont les causes de ce déclin, entre élargissement, mondialisation et perte d’influence de la France ?
  • A l’heure où le libéralisme anglo-saxon est remis en cause, cette anglicisation a-t-elle un impact sur nos politiques ?
  • Au-delà, la francophonie peut-elle se faire le symbole [4] du maintien d’une Europe multilingue ou doit-elle se résoudre à une UE de plus en plus anglophone ?

Comment interpréter la multiplication des conférences sur le déclin inéluctable du français par les politiques, est-ce un moyen de préparer l’opinion publique au changement de statut de la langue anglaise dans l’Union Européenne ?

Regardons les concordances des prises de position comme pièces d’un puzzle:

L’avis du CESE en juin dernier « sur la politique culturelle de la France » portait sur la langue; les représentants de la société civile[5]ont déjà reconnu et validé :

« Le recours à l’anglais comme code commun (le globish, contraction de global English) se généralise, sans que cela soit nécessairement une menace pour la diversité des langues[6]. C'est une facilité dont certains Français hésitent encore à se servir, alors que, pour d’autres, c’est la solution miracle ».

Attendu que « le Conseil économique et social et environnemental contribue à ce que le dernier mot de la décision qui appartient à l’élu de la nation, soit en phase avec les aspirations du corps social. [7]» (Le Figaro du 18/11/09)

Qu’en conséquence, dans le cadre de la modernisation de l’économie, le législateur n’a plus qu’ à légaliser le projet de sécurisation de l’usage des langues étrangères (anglais) dans les entreprises au regard du droit du travail et des procès GEMS et Europ assistance. » (Rapport au Parlement 2009 sur l’emploi de la langue française page 32)

Pourtant, le délégué syndical CFTC de SOPRA, Annecy le vieux, dit, le 6 novembre 2009 :

« L’anglais, parlons-en !

Au-delà des problèmes intrinsèques liés à l’usage de la langue anglaise, au-delà des problèmes de stress et de fatigue liés à l’usage d’une langue vernaculaire étrangère, l’usage abusif de l’anglais dans l’entreprise cause des problèmes dont la majorité des salariés n’a pas conscience.

Perte de son identité

Combien de Français savent encore dire dans leur langue : business, template, plugin, browser ou mail ? De tout temps, les mots sont passés d’une langue à une autre pour combler des lacunes existant dans la seconde. Mais depuis quelques dizaines d’années, une seule langue pénètre toutes les autres, et non pas pour combler des lacunes, mais bien pour remplacer des mots déjà existants dans les langues cibles.(…), l’anglais cause un sentiment de honte (avec tous les risques psychosociaux qui y sont liés) chez les nombreuses personnes qui ne le parlent pas couramment.

Emplois réservés

En exigeant un niveau d’anglais toujours plus élevé pour certains postes, on arrive à créer des emplois où les anglo-saxons seront toujours prioritaires, voire même des emplois réservés auxquels nous, français, roumains, suédois ou autres n’auront jamais accès. Quant à ceux qui croient que j’exagère, sachez qu’hier encore, la DRH elle-même avouait que pour certains emplois, on n’embauche de toute façon que des anglo-saxons. Le pire, c’est que lorsque je parle alors de discrimination, je fais face à un front unanime qui me demande de quelle discrimination je parle ! »

Maintenant syndicalement comment faire face à la politique d’anglicisation ?

  1. Prendre conscience des enjeux sociaux-économiques induits par la langue.
  2. Faire respecter les droits linguistiques encore précisés dans le Code du travail.
  3. Signaler à l’inspection du travail les manquements à la législation.
  4. Exiger toujours et partout le droit de comprendre.
  5. Veiller à la primauté du français en France (emploi) et à sa qualité (contenu).
  6. S’opposer à la substitution du français dans l’entreprise par une autre langue.
  7. Proposer la mise en place d’une commission de terminologie ou un référent linguistique.
  8. Demander la mise en place d’outils logiciels d’aide à la traduction.
  9. Déterminer les niveaux requis en langues par rapport au besoin réel du poste.
  10. Proposer l’adoption du Cadre Européen Commun de Référence aux Langues.

Extrait du communiqué de presse du ministre délégué à la coopération et à la francophonie : Paris 17/03/04 « La défense du français, une démarche citoyenne »

« La conférence ministérielle de la Francophonie réunie à Rabat (septembre 2003) et le sommet mondial sur la société de l’information (décembre 2003) reprennent, à une autre échelle, les thèmes défendus par Jean Loup Cuisiniez. et les membres du personnel de son entreprise»

Chartres le 21 novembre 2009
Jean Loup Cuisiniez